Octobre 2016 – Un magnifique samedi de Papillon.
La semaine précédente, j’ai fait une rencontre intense et riche, au moment de rentrer dans une chambre, une jeune femme en sort. Elle me regarde longuement me sourit et fait demi-tour avec moi pour aller à la rencontre de son mari allongé sur le lit. Sans un mot elle me laisse aller à sa rencontre, elle me laisse communiquer à ma façon avec cet homme sans expression, sans voix, sans regard soutenu. Je sais trop bien qu’il ne faut pas se fier aux apparences, que chaque bulle humaine a son propre fonctionnement, sa propre communication. Je passe un grand moment de discussion intense avec cette jeune femme, un moment de pur bonheur malgré la souffrance présente de voir son amour dans cet état. Avec lui tout n`est que douceur, frôlement, musiques et paroles douces aux oreilles. Je sais que ceux qui sont revenus de cet état comatique expriment combien les bruits sont décuplés à ce moment de la vie. Une fois retourné dans la forêt de ma vallée, un message me parvient. Un message étonnant, un message de la cadre de santé du service d’où je viens. Ce message parle des enfants de ce beau couple, de leurs trois fils. On me demande de revenir, d’aller à la rencontre de l’ensemble de la famille, d’y apporter la légèreté de mon monde, de mon regard simple sur la vie, sur la mort. Le samedi suivant, j’accepte donc de revenir à l’hôpital. Celui-ci revêt une ambiance très particulière les week-ends. C’est comme si tout était au ralenti, moi-même, je marche au ralenti dans les couloirs, je ne rencontre personne ou presque, le temps semble passer plus lentement, presque en goutte à goutte. Je me change dans la petite pièce qui me sert de loge, je m’y sens bien, comme une cabane sans fenêtres, un lieu pour me mettre en condition sans bruit, sans sollicitation, je peux même sans aucune difficulté imaginer le lierre qui grimpe aux murs, le soleil me réchauffer le bout du nez. Je m’approche du lit, parle doucement à cet homme que la vie parait avoir figé dans une attente de quelque chose. Je pense alors à la belle au bois dormant et je dépose un baiser sur son front. Les rôles sont mélangés, les contes sont sur terre pour délivrer des messages aux enfants, pour que les adultes les racontent, souvent ils deviennent réalités, si différents de ce que vous entendez ! Je colle alors un grand papillon bleu au dessus du lit du papa et je lui dis, « ce sera ton papillon pour le voyage » Puis je m’assieds par terre, nous formons un cercle, certains sur des chaises, d’autres assis au sol. Nous formons ainsi un plan qui nous relie tous les six ensemble sans rupture visuelle, sans coupure du lien. Je leur demande leur nom à chacun pour écouter leur musique car je sais que je ne les retiendrai pas, ainsi va le vent en mon esprit, il égrène chaque nom en musique et les pose sur une portée pour créer une symphonie humaine. Je leur parle d’eux, de ce qui les traverse en ce moment exceptionnel, en ce moment de tempête de leur vie. Je sens comme la pudeur est là, comment chacun délivre un morceau du message d’angoisse, de peine, de peur. Je ressens ces vibrations aux travers, celles qui pleurent au-dedans et ne laissent rien voir au dehors, celles qui débordent. J’accueille tous les maux, les nuages gris et les transforme en joie avec la recette d’Annabelle, une fée amie. Puis je leur demande s’ils aiment les voyages, s’ils aimeraient partir en famille en voyage en m’acceptant un peu avec eux ? Je serai discret. Dans un sourire timide, ils répondent que oui, ils en ont envie, ils en rêvent en fait. Je me renseigne de savoir ce qu’ils ont fait ensemble, ce qu’ils ont partagé comme beaux moments, comme vacances géniales. La mer arrive très vite, malgré la peur de l’eau du papa. Moi aussi j’ai peur de l’eau, et pourtant elle me fascine par sa majestueuse danse qui roule en profondeur nos émotions les plus intenses. Je leur propose alors de devenir chacun un papillon et leur offre à chacun un beau spécimen coloré, chacun un différent. Pour moi, c’est inutile j’en suis déjà couvert, ce sont mes amis de toujours. Nous nous mettons en condition sur une petite musique douce, nous respirons profondément pour devenir ce papillon, pour sentir nos ailles pousser, pour quitter le poids de nos corps, atteindre la légèreté de cet être si fragile et si puissant aussi « un battement d’ailes de papillon ici, peut déclencher un ouragan à des milliers de kilomètres ». Nous sommes prêts, nous sentons nos ailes nous porter, nous faisons un bout de chemin jusqu’à la gare, car pour aller à la mer il nous faudrait beaucoup trop de temps et de fatigue. Nous prenons un train de Bourg en Bresse jusqu’à la mer, nous traversons ce que nous avons envie, nous nous laissons porter par les paysages, posés sur les vitres. Seules nos ailes bougent en un léger mouvement de va et vient, comme pour montrer aux humains du train comme nous sommes tous les six magnifiques. Puis la mer arrive, immense, belle, majestueuse. Hélas, pour nos petites ailes, la moindre vague peut être fatale et le vent souffle fort. Nous voletons ensemble et restant bien groupés, puis l’idée de traverser la mer nous vient, chacun donnant son avis, son envie. Nous demandons alors à deux charmantes mouettes de nous aider à traverser pour aller au Maroc. Nous nous installons donc et traversons cette mer si bleue aux mille reflets scintillants, presque une mer de diamants. Dans cette traversée, comme depuis le début le papa est avec nous, nous lui parlons, il nous accompagne à grand coup d’ailes bleues, c’est lui qui a le plus grand papillon. Ce qui s’est passé pour chacun dans ce voyage au dessus des flots est personnel, chacun le vit différemment, le fabrique, le ressent au-dedans. Nous traversons ainsi jusqu’à Marrakech, oui, c’est loin de la côte, mais notre dromadaire a des ailes, et quelles ailes ! Nous visitons, nous nous abritons du vent dans les petites ruelles ombragées du souk, nous suçons le suc d’un fond de tasse de thé à la menthe puis nous revenons doucement en faisant le chemin inverse, en retrouvant avec douceur nos enveloppes humaines, nos corps lourds de ce que nous sommes. Les enfants jouent de la musique et du tambour de mer à leur papa, il y a dans l’air comme un air de fête. Je passe encore un petit moment avec eux en comparant cet homme précieux pour tous ici comme la chrysalide d’un magnifique papillon, un papillon en attente en fabrication lente et immobile comme le sont les milliers de cocons dans le monde en attente du grand jour, du déploiement de leurs ailes. Je leur dis de prendre soin de lui, comme lui prend soin d’eux à sa manière, comme il a su le faire avant. Je quitte la chambre doucement pour aller voir quelques autres personnes, mais on me rattrape, il manque la photo, puis encore la lumière des lucioles que leur maman leur avait racontée. Je sens cette envie que je reste, cette envie que j’accompagne de beau jusqu’au bout, mais où et quand est le bout ? Chacun ici l’ignore et c’est bien ainsi. Je quitte l’hôpital après avoir partagé avec l’équipe, j’ai un rendez-vous important sur les bords d’un lac, un rendez-vous sous la pluie. Quelques jours après, le papillon est sorti de la chrysalide de cet homme en ébullition intérieure. Il a quitté son enveloppe humaine pour d’autres horizons, peut-être le Maroc. Les siens, les enfants, cette belle grande femme amoureuse, gardent ensemble le secret d’un certain voyage, le dernier. Ils ne regarderont plus les papillons comme avant, ils ont le rêve et la beauté chevillés au coeur et c’est simplement doux et juste pour se reconstruire, pour continuer leur vie, des papillons à leur coté. Uonam, souffleur de rêves 25/11/2016 |
Commentaire (2)
Claude| 17 juillet 2018
Je viens de lire « Un magnifique samedi de Papillon ». C’est une très jolie et magique approche pour aider une personne en fin de vie et à ses proches d’accepter ce départ. On peut considérer cet écrit comme une parabole. Cela me rappelle étrangement une forme de relaxation que nous utilisions au yoga en fin de séance. Permettre ainsi au mental et à l’égo de lâcher prise et de ressentir une « dimension » plus étendue de soi-même.
Personnellement la mort n’a jamais été un tabou. Depuis enfant, je sais qu’il n’y a pas de fin et que ce « départ » n’est qu’une forme de libération des entraves du monde physique. Des expériences au cours de ma vie m’ont permis de confirmer cela.
Je sais qu’en occident et notamment en France cette question de la mort reste très délicate. Et pourtant nous avons une des clés qui pourrait faire pencher la balance. Des millions de personnes ont vécu ce que l’on appelle une EMI (Expérience de Mort Imminente) et en sont revenus délivrés de la peur de cette étape finale à laquelle personne ne peut échapper. Même certains neurochirurgiens, médecins et physiciens se posent réellement des questions à ce sujet.
Peut-être qu’un jour nous arriverons à ressentir et à comprendre que nous sommes autre chose que ce que nous croyons être.
Brigitte| 16 juillet 2018
Merci Uonam, souffleur de rêves et merveilleux Neztoiles pour avoir permis ce partage sur notre page.